Interview d'Abdeslam Dahman Saïdi, Secrétaire général de l'association, à Taâwoun la lettre des coopérations au Maroc :
Taâoun : L'association Targa-AIDE est très présente dans la sphère du développement local au Maroc.
Pourriez-vous nous présenter cette ONG active depuis plus de 15 ans ? (histoire, objectifs, valeurs, configuration de l'équipe)
L'association Targa a été créée en 1998 à l'initiative d'un groupe d'enseignants chercheurs. Les premières activités de l'association ont consisté en la réalisation de petits projets de développement mis en place de façon concertée avec les populations rurales dans un certain nombre de zones enclavées du Haut Atlas, du Rif et dans des oasis.
A ses débuts, les missions de Targa consistaient principalement, à travers une démarche de recherche/action, à améliorer les conditions de vie des populations rurales, à instaurer une utilisation durable des ressources
naturelles et à promouvoir la recherche-action interdisciplinaire autour du développement humain durable des populations vivant dans des zones rurales à écologie fragile.
Au fil des années, à travers l'expertise et l'approche qu'elle a développées, Targa s'est vue de plus en plus solliciter par des départements ministériels, des collectivités locales et certains organismes étatiques. Les
changements contextuels du Maroc, dont l'accélération du processus de la décentralisation, ont amené les pouvoirs publics à adopter une approche participative du développement et à introduire des innovations conceptuelles et méthodologiques dans leur travail avec les populations. A la demande de ses partenaires, Targa s'est alors beaucoup investie dans l'accompagnement et le renforcement des capacités des acteurs locaux ainsi que dans la mise en œuvre de programmes publics de développement.
Cette évolution s'est traduite par un élargissement des métiers de l'association vers le management territorial et par un redimensionnement de ses équipes. Targa est présente dans 11 provinces essentiellement du Nord du Maroc.
Taâoun : Quels sont vos principaux programmes en cours ?
Depuis 2010, dans le cadre d'un partenariat avec la Direction Générale des Collectivités Locales et l'Agence pour la Promotion et le Développement des Provinces du Nord, Targa accompagne les communes de moins de 35 000 habitants des provinces des régions de Tanger-Tétouan et Taza-Al Hoceima-Taounate à élaborer et mettre en œuvre leur Plan Communal de Développement. Pour l'association, il s'agit du programme qui mobilise le plus de essources (huit équipes sur le terrain...).
Par ailleurs Targa appuie depuis 2012 l'élaboration et la mise en œuvre des Initiatives Locales de Développement Humain de 6 communes rurales et d'un quartier urbain de la province de Chefchaouen.
L'originalité de l'approche de travail développée par Targa réside dans la recherche systématique de synergies sur un même territoire entre le programme de l'INDH et celui du PCD.
Conformément à sa vocation initiale, Targa poursuit ses activités d'études et de recherche, notamment sur la gouvernance locale et, depuis peu, dans le domaine de l'Economie Sociale et Solidaire. Nous avons été mandatés par l'Agence du Sud pour élaborer une stratégie de développement de l'Economie Sociale et Solidaire dans les provinces du Sud du Maroc. Une étude préliminaire est en cours de finalisation. Nous démarrons également un nouveau projet en partenariat avec le Collectif Démocratie et Modernité qui s'inscrit dans la continuité d'une étude menée précédemment sur la bonne gouvernance économique des CL au Maroc.
Ce projet comporte 3 volets fortement liés : la révision de la charte communale, le budget participatif et la labellisation des communes sur des critères de Bonne Gouvernance.
Par ailleurs nous apportons une expertise technique à un projet expérimental d'équipement solaire d'une station de pompage à Ouarzazate. Cette expérience représente un modèle démonstratif des applications possibles des énergies renouvelables.
Taâoun : La territorialisation des données constitue l'une des spécialités de Targa-AIDE ; de quoi s'agit-il ?
La territorialisation des données est à comprendre comme une caractérisation scientifique d'un territoire par la récolte et l'organisation de données pour en tirer des indicateurs qui permettront une meilleure connaissance de ce même territoire. Dans le cadre de l'appui à la planification communale, nous avons procédé à des enquêtes systématiques auprès de l'ensemble des foyers et des responsables communaux de plus de 200 communes. Pour chaque commune, les données collectées ont été introduites dans une plateforme informatique, le système d'information communal. Ces données ont par la suite été traitées, calcul d'indicateurs (élaboration d'un indicateur d'enclavement social), agrégation à différentes échelles territoriales (provinciale, régionale...) et ont donné lieu à la production d'un ensemble de cartes caractérisant le territoire de chaque commune. Ces outils ont permis d'identifier les zones socialement enclavées présentant de gros déficits dans les deux régions du Nord Tanger-Tétouan et Taza-Al Hoceima-Taounate.
Les données ainsi disponibles portent sur la population, l'économie locale, les équipements et infrastructures de base, le milieu naturel.... pour toutes les communes de moins de 35 000 habitants du Nord du Maroc.
Les cartes réalisées mettent en exergue le patrimoine communal et notamment ses pistes.
Globalement, les responsables locaux manifestent un vif intérêt pour cette connaissance affinée du territoire qu'ils administrent.
Taâoun : Vous êtes également impliqué dans la coopération décentralisée , de quelle façon ? (projet avec les communes belges)
En effet, Targa s'implique depuis peu dans la coopération entre communes belges et marocaines à travers son antenne locale de Bruxelles, l'ASBL Targa Belgique, créée en 2013. A titre d'exemple, nous accompagnons la
ville de Hasselt en Flandre dans son jumelage avec les communes de Missour et Outat El Haj (province de Boulmane) et avons réalisé des formations à Mokrisset dans le cadre d'un partenariat avec la commune de Molembeek (Bruxelles).
Les constats relevés des expériences de coopération décentralisée entre les 2 pays, dont certaines sont cependant très satisfaisantes, révèlent plusieurs failles. La coopération décentralisée entre territoires reproduit le plus souvent les schémas de la coopération internationale classiq ue alors qu'elle pourrait se focaliser sur l'échange d'expérience, le renforcement des capacités en matière de gouvernance et l'ingénierie territoriale, la participation... Les partenariats sont trop souvent vécus comme un simple transfert financier n'appo rtant au final que peu de bénéfices à long terme à la collectivité. Une méconnaissance réciproque des collectivités concernées ainsi qu'une faible implication de la diaspora dans ces projets sont également observées.
Pour limiter ce genre d'écueil et donner tout son sens à cette coopération, Targa Belgique se propose de promouvoir une meilleure connaissance (historique, économique, politique, culturelle) des deux pays et d'appuyer et orienter les projets de coopération décentralisée à travers des échanges. Targa Belgique et Targa Maroc projettent d'élaborer ensemble une méthodologie évolutive de coopération entre communes facilitant le choix des champs de coopération prioritaires pour les communes, le choix des partenaires, la définition participative des objectifs, l'échange d'informations, la transparence, les modalités de réalisation des actions, l'implication de la diaspora, etc....
Afin de mieux connaitre les dynamiques et les liens qui existent entre la diaspora marocaine en Belgique et ses communautés et territoires d'origine et de recenser les atouts et contraintes rencontrées par les collectivités
locales belges et marocaines partenaires dans leurs expériences de coopération, nous allons lancer très prochainement une enquête exploratoire en Belgique. Il s'agira de mieux comprendre le rôle que joue la diaspora marocaine résidant en Belgique dans le co-développement des deux pays et d'évaluer dans quelle mesure elle est susceptible de s'impliquer dans des projets avec les communes d'origine, éventuellement par le biais de la coopération décentralisée. En effet, nous pensons que l'implication de la diaspora marocaine dans les dynamiques de coopération décentralisée avec le Maroc représente un atout important pour la réussite des initiatives menées dans ce cadre. Par ailleurs, Targa Belgique projette d'organiser un séminaire début 2015 où seront présentés les résultats de l'enquête et l'approche méthodologique que nous souhaitons développer pour valoriser la coopération
décentralisée entre les deux pays.
Taâoun : Quelles sont les priorités à venir de Targa-AIDE ? (en terme de projets, d'événements, de stratégie)
Targa souhaite s'impliquer très activement dans le processus de régionalisation avancée à travers un accompagnement adapté des acteurs concernés. Dans ce sens, nous avons développé, dans le cadre d'un projet en partenariat avec l'Agence Catalane de Coopération au Développement, une méthodologie de mise en cohérence des produits des planifications communales à l'échelle régionale afin d'envisager des solutions de développement harmonisées pour la région de Tanger-Tétouan. D'autre part, un deuxième axe d'intervention prioritaire de Targa porte sur les activités génératrices de revenu.
L'approche que nous adoptons vise à sortir de la logique AGR classique pour passer à une logique plus intégrée et soutenue d'économie sociale et solidaire.
Enfin Targa souhaite travailler à la mise en convergence d'un certain nombre de politiques publiques au niveau local, c'est le cas notamment de l'INDH et des planifications territoriales communales.